FRANÇOIS QUÉVILLON
Dérive
2013
Biographie
Le travail de François Quévillon procède de l'installation et de l'art numérique. Les réalisations de l'artiste explorent les phénomènes complexes du monde et de la perception par la mise en œuvre de processus sensibles à l’interférence du public et aux conditions variables de l’environnement. Titulaire d'une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal, Quévillon a été membre du groupe de recherche et de création Interstices de 2001 à 2008 et s'est joint au groupe Perte de Signal en 2009. Le travail de l'artiste a été présenté dans le cadre d'expositions individuelles et collectives et lors d'événements ayant eu lieu au Canada, en France, aux États-Unis, au Brésil, en Colombie et au Liban. Il a, par exemple, été montré dans le cadre de la quatorzième édition du Mois Multi à Québec en 2013; à la Biennale internationale d'art numérique de Montréal en 2012; durant le festival d'arts numériques montréalais Elektra en 2012; pendant le festival Espace [IM] Média , à Sherbrooke en 2011 ou au Albuquerque Museum of Art and History dans le cadre du symposium ISEA2012 Albuquerque : Machine Wilderness en 2012 et 2013.
À propos de l'œuvre
l existe différentes façons d’aborder un projet — d’y entrer — et le titre peut constituer l’une de ces portes. L'œuvre Dérive de l’artiste montréalais François Quévillon est en soi un espace où entrer. Se présentant comme une série de modélisations partielles de lieux reproduits en trois dimensions projetées sur un écran frontal, l’installation propose un scénario de diverses dérivations spatiales, que nous sommes amenés à orienter par nos propres déplacements dans l’espace de projection. Le niveau d’interactivité qui s’y déploie est minimal. Il est juste assez subtil pour que nous l’oublions alors que notre attention est plutôt portée par l'effet de plongée virtuelle grâce auquel l'on approche des détails tels que bâtiments, monuments, plans d’eau ou simple relief du paysage. Après quoi, la singularité de ce qui nous est donné à voir induit chez nous un comportement qui nous pousse à avancer et à reculer ou à aller de gauche à droite, qui — nous le souhaitons secrètement — ferait voir les formes de l’invisible. Il s’agit de modélisations 3D assez classiques, or les amalgames de points sur fond noir font l’effet d’autant de lumières illuminant les aspérités qui se fondent dans la nuit.
La traduction libre et partielle de la citation d'Arthur C. Clark « Là où la technologie devient magie » est une proposition réflexive qui me paraît approcher Dérive en termes d’effet. Mais de quoi parle cet effet de magie si ce n’est de ce qu’on ne peut voir que seul le numérique parviendrait à montrer? L’aspect esthétique de l’image projetée est conséquence directe des phénomènes météorologiques qui adviennent dans les lieux modélisés. Grâce au réseau, Quévillon nous propose une vision de l’état « physique » du monde qui, en traduisant les humeurs du temps, est à la fois terrible et merveilleux. Nous nous trouvons face au sublime, au romantisme à l'ère du numérique. De toutes les formes de l’excès, les comportements de la nature sont parmi les plus imprévisibles, à la fois extrêmes et incontrôlables. Ils nous échappent nécessairement alors que les outils technologiques nous permettent de les retracer dans leurs moindres détails. Notre seul pouvoir réside dans l’acte de représentation, qui peut ouvrir sur l’anticipation. La perception étant le fait d'un croisement — celui de la pensée et de la connaissance —, le rôle de l'imaginaire n’est plus simplement passif, mais permet désormais d’agir dans les interstices de ce que l’on nomme le « réel ».
C’est l’artiste et théoricien Samuel Bianchini —m’apprenait François Quévillon — qui disait s’intéresser à la question des représentations qui deviennent de plus en plus opératoires, c'est-à-dire des représentations sur lesquelles on peut agir ou qui peuvent agir. Et qu’est-ce que cela signifie, cette réciprocité de pouvoir entre nos constructions conceptuelles et nous-mêmes, sinon qu’un processus généralisé d’hybridation a cours, en mode aller-retour, entre le virtuel et le réel? Le réseau est peut-être « l’objet » le plus représentatif, actuellement, de la réalité de cette hybridation. Une multitude d’univers invisibles participent aujourd’hui de nos représentations du monde : avec le numérique et la mise en réseau viennent ces niveaux d’abstraction et de fait, de spéculation, avec lesquels nous composons sans même nous en rendre compte. L’hétérogénéité de ce qui constitue le quotidien est devenue telle qu’une forme d’étrangeté s’installe : le décalage est infime, le vertige, minime — juste assez présent pour qu’on puisse le ressentir sans pouvoir l’identifier.
Texte de Nathalie Bachand rédigé à l’occasion de la résidence de François Quévillon au LabMIS, Museu da Imagem e do Som, São Paulo, Brésil. Version originale française du texte écrit pour le site web du MIS, janvier 2013.